Y aura-t-il encore des DRH dans 10 ans ?

Le/La DRH du futur

Florence PELEAU LABIGNE
Directrice générale déléguée de la CA Grand
Paris Sud Seine Sénart Essonne

Le/la DRH doit prendre sa place et s’imposer même s’il faut pousser les murs, il doit être positionné dans un rôle éminemment stratégique

Florence estime avoir en face d’elle des DRH du passé “j’ai besoin de travailler avec les RH. J’ai besoin que le DRH me surprenne et qu’il soit en avance sur les commandes que je peux passer.” Il doit être en anticipation des humeurs sociales et des attentes des agents et en capacité d’apporter des solutions. S’il est enfermé par la techno, il peut se faire emboliser par le quotidien. Le DRH peut passer sa journée à écoper. Comme renverser la tendance ? Comment reprendre le pouvoir et la possession sur les enjeux ? Il lui faut dégager du temps pour en reprendre la maîtrise.

Le DRH travaille avec tout le monde, il a un rôle d’ensemblier. Pour que le DGS ait confiance dans la fonction RH, il doit comprendre les enjeux et s’en saisir. Face aux contraintes d’optimisation, il est en capacité de proposer et de réfléchir autrement.

La relation avec les managers est compliquée pour le/la DRH qui doit être dans une relation de co-construction, de partage de l’information et des enjeux

Le DRH rencontre de nombreux freins : le poids du quotidien, les procédures, les évolutions réglementaires régulières sur des sujets que l’on vient à peine de régler et qui nécessitent de remettre le métier sur l’ouvrage, les attentes et le regard des autres cadres sont parfois dans une position contradictoire. Ces derniers veulent que le DRH règle leurs problèmes mais quand il vient, on lui dit que ce n’est pas son job, qu’il doit rester dans une fonction de guichet et de revenir quand on l’appellera. Ils n’ont pas envie qu’on leur explique comment ils peuvent manager leurs équipes. Le DRH est confronté à cette ambivalence, un de ses enjeux est de trouver une articulation intelligente et collective avec les manager

Gilles VERRIER
Directeur Général d’Identité RH,
Auteur de “Réinventer les RH” (2007)
et de “Faut-il libérer l’entreprise ?” (2016)

En introduction, Gilles Verrier fait un détour par le passé en citant le DRH de la Wells Fargo, entreprise chargée au XIXème siècle du transport des biens et des personnes en diligence. Quand est arrivé le chemin de fer, s’il y avait eu un DRH quel aurait été son rôle ? S’occuper de paie et des négociations avec les organisations syndicales et des tâches qui parasitent le métier ou bien s’interroger sur les métiers qui vont émerger pour préparer les reconversions des personnes ? La révolution de la fin du XIXème siècle se reproduit aujourd’hui.

Une 1ère révolution est en marche. Les missions des collectivités, leurs moyens et les articulations avec les partenaires vont être rebattus.

Et vous ? Que vous dites-vous ? “J’attends, cela viendra bien et on verra comment je le gère ? Ou bien, est-ce que j’ai un vrai rôle à jouer ? Est-ce que je tente de comprendre ce qui se joue pour anticiper ?”Certains métiers vont évoluer quand d’autres vont disparaître. Il faut préparer et accompagner ces changements.

La 2ème révolution est que l’on n’a plus les mêmes personnes au travail

e t ce, au-delà des questions de génération. Ils n’ont plus rien à voir avec les collaborateurs il y a 5 ou 10 ans. La quête de sens est plus importante, l’aspiration à s’épanouir au travail, au respect et à la considération et le souhait de rapport adultes ne sont pas le fait seulement les jeunes mais toutes les générations. Comment les DRH prennent en compte ces aspirations et comment aident les opérationnels et les dirigeants à changer leurs pratiques ? Il n’y aura plus demain quelques décideurs et beaucoup d’exécutants.

La 3ème révolution est la prise en compte de la révolution informationnelle et relationnelle.

Les agents ont accès à toute l’information et à tout moment. Si on continue à raisonner en silos, cela ne fonctionnera pas.

Les organisations ont besoin d’être libérées de cet héritage qui veut que l’agent soit considéré comme un exécutant

Les DRH d’aujourd’hui sont face aux mêmes choix que le DRH de la Wells Fargo.
Est-ce qu’ils continuent à privilégier les taches répétitives, les relations sociales et leur coté chronophage ? Ou sont-ils aussi dans l’anticipation, focalisés sur les métiers émergeants, à s’occuper de la transformation des pratiques de management et présents sur le terrain de l’adhésion des agents ? Les organisations ont besoin d’être libérées de cet héritage qui veut que l’agent soit considéré comme un exécutant. Le mouvement de l’entreprise libérée, selon les termes d’Isaac Getz, prône un leader libérateur, la rééducation des salariés et leur bonheur, il propose de supprimer les fonctions supports et les corps intermédiaires. C’est bien un type d’organisation sectaire qui est engagée.

L’enjeu est d’intervenir sur des terrains où les DRH ne vont pas assez souvent : le terrain de l’organisation, des modes de fonctionnement et des comportements. Le terrain est favorable pour faire évoluer les postures des managers mais si on conduit le changement à quelques uns, cela ne fonctionnera pas.

A la question les DRH ont-ils failli ? Gilles Verrier interpelle le système plutôt que l’acteur : “ce que vous faites est le résultat de ce qui vous est demandé dans votre environnement. Cela ne doit pas masquer que vous avez des marges de manœuvre, vous ne faites pas tous le métier de la même façon. En tant que DRH il faut arrêter de dire “on n’a pas la légitimité”. Il faut forcer les portes ! Vous travaillez pour une collectivité et pour son bien.”

Les dirigeants constatent une faiblesse de la dynamique motivationnelle

Quelle est la valeur du DRH ? Il faut s’en passer s’il s’en tient à ses missions traditionnelles en automatisant et en réorganisant les activités RH. On ne pense pas le métier hors sol mais par rapport à ce qui se joue. Si le DRH est celui qui dit “dans 2 ans, voici quelles évolutions vont influencer les métiers et les mesures qu’il est nécessaire de prendre”, il est dans son rôle. Les dirigeants constatent une faiblesse de la dynamique motivationnelle. Les collectivités ont une utilité sociétale mais il semble pourtant qu’il y ait plus de sens dans des entreprises qui produisent des roulements à billes ou qui fabriquent des yaourts.

Le dilemme du DRH est bien celui-ci : il faut gérer des tas de trucs du quotidien tout en essayant de dégager un peu de temps pour la stratégie et les grands enjeux trouveront en partie des réponses. Il s’agit d’identifier les modalités selon lesquelles les tâches à faible valeur ajoutée (cela reste à définir) peuvent être optimisées (mutualisation, externalisation) et celles qui ont une vraie valeur ajoutée par rapport au projet, on y consacra plus de temps

Cela fait des générations que l’on raisonne en termes de processus et de boîtes à outils. Les DRH s’appuient encore sur la technique pour appuyer leur légitimité. Il faut changer de mode de raisonnement, ce n’est qu’une fois les grands enjeux identifiés que l’on peut sortir la boîte à outils

Laurent CHOAIN
Chief people & Communication Officer, groupe Mazar

Demain, on va devoir permettre plus que transmettre. On sort de 60 ans de modèles qui ont bien marché. Peter DRUCKER identifie 3 époques : l’homme
économique jusque la 2ème guerre mondiale, puis l’homme organisationnel. Nous sommes d’ailleurs des produits des organisations, nous sommes des hommes organisationnels, ce ne sera pas la réalité de nos enfants. La 3ème époque sera celle, du fait d’une rupture technologique, des travailleurs du savoir ; l’emploi à vie ne marchera plus. Combien de boites va-t-on connaître au cours d’une vie professionnelle ? Avant, 3 c’était déjà beaucoup !

Les DRH de demain seront les DRH de l’employabilité

Les DRH ont été éduqués avec les codes de la rétention des talents, de l’emploi de longue durée corrélés à des systèmes bancaires qui font des prêts à ceux qui ont un salaire régulier. Ce système change. Les DRH de demain seront les DRH de l’employabilité, plus encore dans le service public. Chez Mazars 95% des personnes savent qu’elles vont rester au maximum 10 ans, elles viennent améliorer leur CV et leur employabilité. La promesse d’une employabilité forte engagerait-t-elle les agents à renoncer à l’emploi à vie ? Dans la fonction publique et les grandes entreprises, les DRH sont-ils en capacité de dire “nous embauchons des gens qui sont si bien accompagnés et si qualifiés qu’ils aient envie de partir ailleurs ?” C e serait la meilleure des politiques RH. Demain notre enjeu sera de gérer de l’employabilité. On va faire en sorte que les meilleurs s’en aillent et que les mauvais ne restent pas. La vraie fonction du DRH est d’anticiper.

Pour créer de la valeur, il faut s’intéresser à ceux qui sont encore motivés, autrement dit ceux qui viennent d’être recrutés

Nos environnements laissent une place importante à la classe institutionnelle. Richard FLORIDA, urbaniste, estime que si l’on veut développer les villes, il faut attirer dans les quartiers peu huppés ceux qui sont de futurs géants et qui appartiennent à la classe créative. Dans les institutions, peu de personnes ont une conscience de la classe créative. Une organisation, pour créer de la valeur, doit s’intéresser à ceux qui sont encore motivés, autrement dit ceux qui viennent de rentrer car ils ont fait récemment ce choix. Comment maintenir ce contrat psychologique ? La promesse employeur vise ceux qui viennent d’entrer et non pas ceux qui sont là depuis 20 ans. Il faut convaincre les gens de qualité qui ont cru en une aventure, l’objectif est de ne pas les décevoir. Notre enjeu est d’être le DRH de la classe créative. Chez Google, 4 critères dominent : être smart, être leader, être expert “en quelque chose” et être “googelie” c’est-à-dire n’avoir rien à faire du titre. Le problème aujourd’hui c’est l’attachement au statut. En tant que DRH nous maintenons en place une classe existante fondée sur la reconnaissance institutionnelle.

Laurent CHOAIN cite ensuite l’exemple d’une grosse banque de Wall Street qui a vu le départ au bout de 3 mois de 83% des personnes recrutées. Elle avait pourtant fait la meilleure campagne de recrutement et recruté des gens qu’elle n’avait jamais réussi à engager. L’expert mandaté, après quelques temps d’observation, leur a dit : “vous avez recruté des stars qui ont une haute vision d’eux-mêmes et qui ont envie de faire la différence, vous les avez fait rentrer dans le système comme les soldats d’une armée.”Jusqu’à il y a 5/6 ans, on recrutait sur le mode : “je t’embauche pour te dicter ce que tu dois faire et te faire entrer dans un système dont le DRH est le gardien”. Demain, nous recruterons des gens pour ce qu’ils ont choisi de faire. C’est la différence entre un profil Linkedin et un CV. Dans un profil Linkedin le moins important c’est le parcours, le plus important c’est ce que l’on veut faire et les recommandations. Pour Laurent CHOAIN, trop de salariés insatisfaits entrent et restent dans un comportement apathique.

Nous ne sommes pas les DRH de l’avenir car nous ne pouvons pas renoncer à tout ce que nous avons mis en place :

fiches de poste ou entretiens annuel d’ailleurs remis en question. Deloitte résume aujourd’hui son entretien annuel à 4 questions dont 2 où l’on répond par OUI ou NON. Faut-il faire partir ou retenir les talents ? La porte est ouverte ! S’ils restent c’est qu’ils l’ont choisi librement. Les DRH sont-ils des gestionnaires des ressources critiques de l’organisation ? Une organisation peut avoir la meilleure stratégie du monde mais si on n’a pas les ressources, cela s’arrête là. Le bestseller écrit par Vineet NAYAR “les employés d’abord, les clients ensuite” en témoigne. Il promeut la confiance dans l’entreprise et l’autonomie des collaborateurs. Laurent CHOAIN prône la désinstitutionnalisation des relations de travail tout en reconnaissant que c’est plus compliqué dans les systèmes qui fonctionnent à l’équité comme la fonction publique. A la question “pour qui faites-vous une politique RH ?”, les DRH répondent “pour tous les salariés”. La réponse devrait être plutôt “pour les managers de 1ère ligne”. La fonction publique a l’obligation de faire une politique pour tous.

Les référentiels de compétences devraient identifier les compétences critiques

Les 3 enjeux des DRH sont : la connaissance des talents critiques, la reconnaissance de ceux qui font monter les potentiels et une lecture des talents critiques de demain. Le référentiel est à l’aune de cette question. Par ailleurs, malgré les contraintes d’équité, les DRH de la fonction publique doivent faire émerger les talents.

Demain la logique du DRH sera celle du chef de village ou d’animateur

La question est “mon organisation développe, détruit ou n’a aucun impact sur l’estime de soi des gens qui sont à l’intérieur ?”. Notre rôle est de développer l’estime de soi de nos collaborateurs. Les DRH seront comme des agents de joueurs en charge de gérer des compétences sur un marché de l’emploi non salarié. Les tailles d’entreprises vont se réduire. Il faudra animer ces compétences, ce sera un nouveau métier.