Réforme de la fonction publique : un sentiment d’inachevé ?

Le Gouvernement termine les différentes consultations relatives au projet de loi de transformation de la fonction publique et devrait déposer la version définitive en Conseil des ministres dans les prochains jours. Initialement annoncée comme une nouvelle grande loi en faveur de la fonction publique, l’actuel projet constitue avant tout une loi technique, sans doute moins porteuse de sens que ne le laisse entendre le Ministre, mais qui a le mérite d’initier de véritables et concrètes simplifications. On nous annonçait un vent de modernisation en faveur d’une fonction publique rénovée. Ce n’est pourtant qu’une trentaine d’articles techniques qui va être soumise aux parlementaires dans les prochains jours. Cependant, ayons l’honnêteté de relever l’audace de véritables mesures de simplification contenues dans le projet de loi : la fusion des comités techniques et des comités d’hygiène, santé et conditions de travail qui évitera ainsi la redondance des ordres du jour dans deux instances et facilitera la montée en puissance des sujets relatifs aux conditions de travail dans le futur comité social territorial ; le recentrage des commissions administratives paritaires afin d’éviter qu’elles ne soient des chambres d’enregistrement ou le lieu de curieuses tractations d’un autre temps en matière de gestion des ressources humaines ; la création d’un CDD de projet afin de permettre de recruter pour un temps précis limité à 6 ans un agent contractuel pour une mission clairement établie ; la mise en place de la portabilité des CDI entre les trois versants de la fonction publique ; l’instauration d’un mécanisme encadré de rupture conventionnelle pour tout agent public voulant quitter la fonction publique ; la transposition du protocole d’accord en faveur de l’égalité femmes-hommes qui crée de véritables droits et protections. D’autres mesures sans doute plus techniques viennent aussi insuffler une dynamique de simplification (le recours à la négociation collective, la possibilité de recruter des agents à temps non-complet sur des emplois permanents…).
Pour autant, toutes ces mesures utiles, attendues et portées depuis plusieurs années par de nombreux acteurs, ne constituent pas une loi porteuse de sens et n’offrent pas à la fonction publique toutes les possibilités dont elle a besoin pour se moderniser.
Sortira-t-on de la simple gestion administrative des ressources humaines pour aller vers une véritable gestion des compétences dont les employeurs publics ont cruellement besoin ? Sans doute si on n’allège toutes les dispositions administratives qui se sédimentent au fur et à mesure des réformes successives et qui contribuent à rendre le statut, les déroulements de carrière et les conditions de rémunération de plus en plus opaques et incompréhensibles par les non-initiés. Est-il crédible de parler d’une loi ambitieuse en ne soumettant au débat parlementaire que des mesures techniques et en renvoyant à de multiples ordonnances sur des sujets aussi cruciaux que la santé et les conditions de travail tandis que le taux d’absentéisme est de 7,85% dans le versant territorial par exemple ? Est-il envisageable aujourd’hui de parler de réforme de la fonction publique et d’occulter la question de l’ouverture de la fonction publique afin qu’elle soit plus représentative de la diversité de la société française alors que de nombreux rapports déplorent les inégalités d’accès et les limites des concours académiques ? Est-il pertinent de réformer la fonction publique sans se soucier des problématiques d’attractivité qui dépassent les questions de rémunération et de recours aux contractuels ? Peut-on encore occulter les enjeux de mobilité à l’échelle des bassins de vie alors que moins de 3% des fonctionnaires font une mobilité géographique ou évincer les épineuses questions des lourdeurs administratives qui entourent les prises de sanctions disciplinaires et le licenciement pour insuffisance professionnelle ? Le management moderne et de proximité nécessite l’adoption d’outils adaptés aux réalités. Enfin, peut-on envisager une fonction publique modernisée sans garantir financièrement un accès plus large à la formation et, en particulier, la prise en charge des agents en reclassement et du Compte personnel formation ?
Si plusieurs mesures du projet de loi méritent d’être saluées en raison de leur caractère très opérationnel, le texte laisse un sentiment d’inachevé. Inachevé en raison d’une vision tronquée des besoins, notamment sur le rôle du contrat insuffisamment encadré en matière de déontologie, inachevé en raison d’une insuffisante concertation avec tous les acteurs. Inachevé sans doute parce qu’une réforme de la fonction publique ne doit pas répondre à la question "comment supprimer 120.000 postes" mais "quelle fonction publique voulons-nous demain". Alors que le temps du débat parlementaire ouvre une nouvelle séquence, misons sur l’esprit d’écoute et les envies d’évolution, pour que cette loi de transformation de la fonction publique emporte un vent de modernisation en faveur de la gestion des compétences et l’adaptabilité de nos administrations tant attendu par les usagers.

Johan Theuret
Président de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales