Madame la Ministre,
Vous avez entamé un cycle de concertation avec les organisations syndicales et les employeurs publics sur l’avenir de la fonction publique. L’agenda de cette concertation est riche en sujets d’actualités et des progrès émergeront sans aucun doute de ces réflexions partagées. Pourtant il semble que dans ces travaux, les praticiens des ressources humaines n’ont pas l’occasion de s’exprimer. Aussi je souhaite vous adresser la contribution de l’Association des DRH des grandes collectivités à la réflexion nationale sur la modernisation de la fonction publique.
Car la fonction publique a besoin d’être modernisée : elle est un cadre statutaire adapté pour répondre aux besoins des agents et des employeurs mais elle se heurte aujourd’hui à une incapacité à prendre en compte les enjeux de la société du 21ème siècle comme le travail des jeunes, l’égalité des femmes et des hommes ou la mobilité professionnelle.
Aujourd’hui la fonction publique subit les évolutions de société au lieu de les anticiper. Elle n’est pas encore préparée à assumer le vieillissement des agents, elle laisse se développer la souffrance au travail en ne traitant pas de l’organisation concrète du travail, elle s’enferme dans un dialogue social peu productif alors que tous les acteurs appellent de leurs vœux une rénovation de la concertation.
Notre association regroupe des DRH de toutes les collectivités, villes, communautés urbaines, ou communautés d’agglomération, départements, régions, qui travaillent ensemble à construire la vision territoriale de la fonction publique. Nous formons un réseau d’échanges actifs qui mène régulièrement des enquêtes, des comparaisons et des échanges de pratiques sur des sujets de fonds (l’absentéisme, les régimes indemnitaires, l’évolution de la masse salariale) et sur l’actualité (risques psycho sociaux, action sociale, contrats d’avenir par exemple). Nous sommes des interlocuteurs du CNFPT, des associations d’élus, ou de vos services pour étudier l’évolution de la règlementation ou apporter un point de vue professionnel aux problématiques sociales des collectivités.
C’est pourquoi nous sommes en mesure de nous appuyer sur notre expérience de la fonction publique territoriale pour faire des propositions concrètes de changement.
Je me tiens ainsi que les représentants de l’association, à votre disposition pour vous présenter plus en détail les mesures contenues dans le document que je vous adresse.
Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, mes salutations les plus respectueuses.
Valérie CHATEL
Fonction publique territoriale, éléments pour une réforme
Adapter la fonction publique aux enjeux de la société (emploi des jeunes, prévention de la pénibilité, égalité femmes-hommes), anticiper sur les transformations du service public (mutualisation des services, mise en œuvre de la RSE) et faciliter l’entrée dans le statut de la fonction publique. Voilà les principaux axes de travail que l’association des DRH des grandes collectivités propose pour moderniser la fonction publique.
Aujourd’hui la fonction publique devrait sur le plan social comme sur le plan de la performance être un modèle pour l’ensemble du monde du travail. Cependant elle rencontre plus encore que le secteur privé, des difficultés à répondre à l’évolution de la société et elle échoue à trouver des solutions dans certains domaines particulièrement sensibles :
- Le travail des jeunes : elle a du mal à intégrer les jeunes, en particulier les jeunes en difficulté,
- L’égalité hommes femmes : elle ne résout pas les problème de discrimination sexuelle et ne parvient pas à établir une égalité femmes-homme ni à faire disparaître les plafonds de verre
- La pénibilité : elle n’anticipe pas les questions de vieillissement et de pénibilité,
- L’attractivité de l’emploi public : Aux métiers qui connaissent des difficultés de recrutement (médecins, infirmiers, cuisiniers…) s’ajoutent d’autres, de la filière technique (ingénieurs, techniciens du bâtiment, des travaux publics)
Par ailleurs elle est confrontée à des enjeux importants pour l’évolution structurelle des collectivités et le statut n’est pas toujours adapté à ces grands enjeux :
- La mutualisation des services entre collectivité
- L’organisation de la mobilité entre fonctions publiques
- La mise en œuvre de la Responsabilité Sociale des Organisations
Les régions par exemple qui ont en charge l’apprentissage ne parviennent pas à recruter en alternance, les départements qui s’occupent du handicap n’atteignent que difficilement le taux d’emploi légal des travailleurs handicapés. L’ensemble des collectivités qui s’intéressent naturellement au développement économique de leur territoire ne parviennent pas à mener des politiques d’emploi public efficaces.
Le projet de réforme territoriale doit donc comporter un certain nombre d’éléments concernant la fonction publique en général et la fonction publique territoriale en particulier. Il faut que le secteur public soit un laboratoire d’expérimentation sociale qui permette d’innover en matière d’accès à l’emploi, de formation initiale et de formation tout au long de la vie, de santé au travail, de prévention de la pénibilité et de dialogue social.
Adapter le statut aux besoins opérationnels
Or, si tous les acteurs publics restent très attachés aux principes d’égalité inscrits dans le statut de la fonction publique, force est de constater que les administrations publiques ont du mal à développer des outils nouveaux dans le cadre réglementaire actuel. Aussi sans remettre en cause les principes fondateurs du statut qui garantissent l’égalité d’accès à la fonction publique, des droits en contrepartie des devoirs qui sont les leurs, une carrière et une promotion sociale grâce
à la formation professionnelle, certaines évolutions statutaires peuvent être proposées en matière
De recrutement
De formation
De carrière
Et d’encadrement
L’accès à l’emploi public : Le concours doit garantir l’accès à l’emploi public de manière égale à tous les candidats. C’est un principe qu’il faut préserver. Cependant il faut prendre en compte que le concours constitue pour de nombreuses personnes un obstacle au recrutement principalement pour deux raisons.
La première est la nature des épreuves, elles sont fondées dans presque tous les concours sur une connaissance de la langue française écrite qui de fait élimine ceux qui ont des difficultés scolaires et en particulier des difficultés d’expression et d’écriture. Cette difficulté est un obstacle à l’intégration alors que dans de nombreux métiers le fait de manier une langue académique ne devrait pas être un critère de compétence professionnelle.
La seconde est la complexité du système du concours qui s’ajoute à celle du système scolaire : la priorité des jeunes qui sortent de leurs études, ou des adultes qui quittent le secteur privé pour entrer dans le secteur public n’est pas de préparer des épreuves mais de trouver du travail. Le concours est perçu par les candidats qui ont décroché un diplôme ou acquis une expérience professionnelle, comme un moyen incompréhensible de les empêcher d’entrer dans le secteur public.
Aussi sans supprimer le principe du concours qui reste une voie d’accès permettant une sélection de candidats qualifiés, une évolution importante pourrait être réalisée en diversifiant les voies d’accès à la fonction publique pour les candidats qui ont préalablement acquis des compétences avérées :
- Les apprentis : actuellement les apprentis lorsqu’ils ont terminé leur parcours de formation et obtenu leur diplôme doivent passer un concours (sauf pour l’accès à des postes de catégorie C qui font l’objet d’un recrutement direct), alors même qu’ils ont réalisé leur apprentissage dans une administration et montré leur capacité à s’intégrer
- Les agents ayant réalisé un parcours d’insertion.
- Les titulaires d’un diplôme permettant d’exercer dans des professions règlementées : infirmière, médecin par exemple
- Éventuellement les titulaires d’un diplôme garantissant un niveau d’étude conforme aux attendus d’un grade : actuellement par exemple il est difficile de faire comprendre à des jeunes qui viennent de terminer une formation d’ingénieur que leur diplôme est insuffisant pour occuper des fonctions d’ingénieur territorial.
- Les agents ayant valorisé leur expérience professionnelle au travers d’un dispositif de VAE (Validation des acquis de l’expérience qui donne un diplôme) ou REP (reconnaissance des acquis de l’expérience) : actuellement la VAE qui est un parcours difficile ne donne rien à un agent public, il y aurait lieu de donner de l’intérêt au dispositif en permettant la progression de carrière de l’agent qui a réalisé un tel parcours.
Pour l’ensemble de ces situations il n’est pas question de procéder à des intégrations sans préalable, mais de simplifier les conditions d’accès en recourant au concours sur titre. Le concours sur titre est un dispositif prévu par le statut de la fonction publique mais aujourd’hui très peu utilisé. Il consiste en général en épreuves simplifiées : la constitution d’un dossier pour présenter son parcours et sa motivation, un entretien avec un jury pour vérifier la capacité du
candidat à travailler dans le secteur public. Sa généralisation constituera un mode de reconnaissance et donc de recrutement particulièrement adapté à tous ceux qui ont à faire valoir une expérience professionnelle, un parcours en alternance ou un diplôme opérationnel. Elle nécessite des jurys professionnalisés et en particulier la présence d’au moins une personne compétente en matière de recrutement.
La formation : Les dispositifs de formation actuellement en vigueur dans la fonction publique territoriale sont très satisfaisants à plus d’un titre. Ils offrent une palette d’outils de formation permettant d’appréhender tous les aspects du développement professionnel, ils font l’objet d’une cotisation auprès du CNFPT. Le montant de cette cotisation a été rétabli à son taux initial de 1%. Cela permet au CNFPT d’être non seulement établissement de formation mais aussi centre de diffusion de la culture territoriale, en particulier dans le domaine du management, du développement territorial, des ressources humaines.
Pourtant la lutte contre l’illettrisme qui –à juste titre- est un aspect important de la loi de 2007, ne fait pas partie des actions de formations prises en charge par le CNFPT dans la cotisation : il faudrait que cet aspect de la formation figure expressément dans la mission du CNFPT.
Par ailleurs sur un plan purement technique la capacité juridique des collectivités à conventionner avec le CNFPT sans appel d’offre n’est pas complètement assurée et il y aurait lieu de conforter juridiquement cette possibilité.
La loi de 2007 qui a modifié les dispositifs de formation en créant des dispositifs de formation tout au long de la vie si elle a apporté des éléments de modernisation qui se mettent progressivement en place de manière positive a aussi considérablement réduit la formation des agents de catégorie A.
Or pour des raisons de culture territoriale, (l’acquisition notamment des compétences en matière de management), autant que pour des raisons de parité avec la fonction publique d’État, il est nécessaire de rétablir un parcours de formation initiale pour tous les agents de catégorie A : Là où les fonctionnaires de l’État qui réussissent le concours des IRA sont astreints à une formation en école d’une année complète, les agents territoriaux ne bénéficient plus que d’une formation d’intégration de 5 à 10 jours.
Le dispositif de formation initiale qui existait avant 2007 avait l’intérêt de se dérouler en alternance. Chacun sait aujourd’hui que l’alternance –période travaillée/période en formation- est productive et enrichissante mais elle a l’immense inconvénient de priver l’employeur d’une partie du temps de l’agent qu’il vient de recruter. Aussi il y aurait lieu de rétablir un dispositif de formation initiale de plusieurs semaines (8 à 10) sous forme de formation en école pour tous les cadres, assurée par le CNFPT dès lors qu’une collectivité recrute un lauréat de concours. La longueur de la formation ne devra pas excéder trois mois de manière à ne pas dépasser les délais usuels de recrutement par voie de mutation ou de détachement dans les collectivités territoriales. Cela permettra de ne pas pénaliser les lauréats de concours, en particulier les jeunes qui prennent leur premier poste, tout en leur assurant une préparation à l’emploi efficace.
Par ailleurs la loi de 2007 en instaurant des formations obligatoires pour tous les agents de toutes les catégories a réalisé un réel progrès, cependant le dispositif de droit individuel à la formation instaurée par cette loi pour transposer à la fonction publique la règlementation existant dans le secteur privé s’avère à l’usage peu utile et plutôt facteur de complexité administrative que de réel progrès social. Il serait intéressant de simplifier les dispositifs de formation et de supprimer le DIF et le livret de formation
Les carrières : l’ensemble des grades de la fonction publique ont connu depuis la loi fondatrice de 1984 de nombreuses évolutions. L’architecture générale des cadres d’emplois a été simplifiée, ce qui a eu pour conséquence de faciliter la gestion des ressources humaines, de développer la mobilité professionnelle, de diversifier les déroulements de carrière.
Les évolutions à réaliser aujourd’hui sont de deux ordres :
il faut tirer les conséquences de la réforme des diplômes universitaires et classer tous les grades en fonction de leur correspondance avec le système Licence maîtrise doctorat (LMD) : de la même manière que les infirmières sont aujourd’hui classées en catégorie A, il faut reclasser dans cette catégorie tous les grades accessibles après un diplôme de bac+3. Cela concerne en particulier les assistantes sociales qui aujourd’hui sont particulièrement peu valorisées dans leur carrière.
D’une manière globale la réforme la plus importante serait d’établir l’égalité entre les différentes filières de la fonction publique territoriale. En effet un certain nombre d’emplois sont accessibles indifféremment à des agents relevant de plusieurs filières : les postes d’encadrement (attaché) sont accessibles aux généralistes que sont les administratifs comme aux spécialistes issus d’une filière particulière. Les postes d’urbanistes, d’agent de développement, de chargé de mission dans le domaine de l’économie, de l’écologie peuvent être occupés aussi bien par des administratifs que par des techniciens.
Par ailleurs l’égalité entre les filières permettrait de réduire l’écart de salaire entre les hommes et les femmes : ce sont en effet les filières les plus féminisées, en particulier en catégorie A qui sont les moins valorisées. Les filière culturelles, sociales, dans une moindre mesure administratives ont des échelles indiciaires moins élevées et des déroulement de carrière moins rapide que la filière technique qui est (au moins au niveau de l’encadrement) beaucoup plus masculine.
A l’heure ou l’on recherche des instruments pour établir l’égalité entre les femmes et les hommes un dispositif simple pourrait être mis en œuvre : assurer l’égalité statutaire (grille, carrière, et plafond indemnitaire) entre toutes les filières et imposer aux collectivités de réduire les écarts de régime indemnitaire entre les filières féminines et les filières masculines.
Sur ce point la réforme du cadre d’emploi des ingénieurs territoriaux qui vise à séparer les cadres d’emplois de catégorie A (ingénieur) et de catégorie A+ (ingénieur en chef) qui semblait dernièrement sur le point d’aboutir serait une véritable mesure d’équité vis-à-vis des autres filières.
L’égalité entre les filières à l’intérieur de la fonction publique serait un facteur d’amélioration des possibilités de mobilité : le dynamisme de la fonction publique en effet repose sur la capacité des agents des collectivités à réaliser des mobilités professionnelles. Il est donc essentiel de rendre ces mobilités les plus faciles possibles.
La mobilité entre collectivités à l’intérieur de la Fonction Publique Territoriale est déjà une réalité, mais il y a lieu aujourd’hui de renforcer encore les possibilités de mobilité entre fonctions publiques : par exemple en développant les dispositifs de publicités des postes, en luttant contre les freins qui font obstacle au recrutement de fonctionnaire d’autres fonctions publiques. Parmi ces freins la question des cotisations retraites des agents de l’État est une réalité qui fait obstacle au recrutement d’agents de l’État par les collectivités : le montant des cotisations retraites des agents de L’État est actuellement deux fois plus élevé que celui des autres fonctions publiques, il faudrait construire un dispositif qui permette aux agent de L’État détaché dans une collectivité de cotiser au même taux que leurs collègues de la Fonction Publique Territoriale
Par ailleurs la réflexion engagée sur les emplois de direction des collectivités devrait aboutir à la parution des décrets d’application de la loi du 12 mars 2010 qui prévoit notamment un nouveau mode d’accès au grade d’administrateur territorial et la création du grade d’administrateur général pour la fonction publique territoriale.
D’une manière plus générale il serait intéressant également d’ouvrir le débat sur le montant des retraites des agents publics : leur rémunération comprend une partie de régime indemnitaire qui est de plus en plus importante (pour les filières techniques et pour les cadres notamment). Aujourd’hui la mise en œuvre du RAFP les amène à cotiser sur un montant plafonné de ces primes (20%). De ce fait, au moment de leur retraite les agents qui ont une part indemnitaire importante connaissent une perte de rémunération extrêmement importante. Instaurer une cotisation retraite sur l’ensemble du régime indemnitaire des agents permettrait de corriger ce problème.
Cette évolution permettrait également de revenir sur l’épineux problème des NBI : les agents et les représentants du personnel sont attachés à la nouvelle bonification indiciaire mais les conditions d’attribution sont devenues un maquis incompréhensible qui crée à l’intérieur des collectivités des disparités à cause du flou des définitions des fonction éligibles (qu’est ce que l’accueil, quel quotité du travail cela doit il représenter, comment définir l’encadrement de proximité ?….). La politique de rémunération des collectivités territoriales gagnerait beaucoup en clarté à la suppression pure et simple de ce dispositif et à son intégration dans la politique indemnitaire.
Les régimes indemnitaires gagneraient beaucoup à une simplification des textes : ceux-ci établissent un système de parité avec L’État qui globalement fonctionne bien pour ce qui est des montants plafonds. Cependant la mise en œuvre de la PFR (prime de fonction et de résultat) est une réforme qui n’a pas abouti. La première raison en est que seule une partie des grades de la fonction publique territoriale est concernée ce qui pose en pratique des problèmes d’équité entre personnes qui occupent des emplois de même niveau (les attachés et les ingénieurs par exemple). La seconde raison est que ce dispositif est inutile pour la fonction publique territoriale puisque le régime indemnitaire est voté par l’assemblée délibérant qui pouvait (à condition de définir les critères d’attribution) décider d’un système de modulation individuel ou collectif. La troisième raison est que beaucoup de collectivités ne souhaitent pas s’engager dans un système d’individualisation des rémunérations fondé sur le résultat. Il y aurait donc lieu éventuellement de réformer cette réglementation, s’il est nécessaire d’imposer une modulation des rémunérations de la limiter à la part « fonction » mais de laisser libre les collectivités de choisir ou non un dispositif de « résultat ».
En effet les collectivités territoriales ont depuis 1982 mis en œuvre des politiques modernes de gestion des ressources humaines : elles disposent en général d’orientations en matière de ressources humaines (plan de formation, gestion prévisionnelles des emplois..), elles ont généralisé un certain nombre d’outils (évaluation, fiches de postes, référentiels métiers et compétences), elles ont conduit, souvent avec le CNFPT des actions qui leur permettent d’avoir une gestion professionnelle des ressources humaines. Elles constatent aujourd’hui que les besoins en matière de RH s’articulent autour de deux axes.
Professionnaliser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : c’est un enjeu majeur pour donner à la fonction publique le moyen de s’adapter en permanence à l’évolution sociale et à la demande en matière de services publics, mais c’est aussi un besoin essentiel pour faire face à l’usure professionnelle qui s’aggrave avec l’allongement de la durée des carrière et le recul de l’age de la retraite.
Améliorer la politique de santé et de sécurité au travail : le répertoire des métiers des collectivités territoriales recense plus de 250 métiers. Certains sont des métiers physiquement éprouvant (dans les services publics de ramassage des ordures ménagères, l’assainissement, la voirie), d’autres sont exposés à des publics difficiles (les métiers de l’accueil mais aussi et surtout les travailleurs sociaux), d’autres enfin à des pressions psychologiques liées à l’accélération du travail et à la complexité des projets et de l’organisation des collectivités. Il serait tout d’abord nécessaire sur le plan statutaire de remettre à plat la question des carrières dites « actives » qui permettent aux agents exerçant des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite (la définition de ces métiers ne correspond plus aujourd’hui à la réalité du travail). Il y aurait lieu également d’innover en matière de parcours professionnels dès le début de la carrière des agents. Il serait particulièrement important que les agents exposés à des risques professionnels soient informés du fait qu’ils devront exercer plusieurs métiers et qu’il faut qu’ils mènent un projet professionnel intégrant de la formation et de la mobilité fonctionnelle. Enfin il serait indispensable d’intégrer la prévention des risques psychosociaux dans la formation des cadres et de diffuser une culture collective permettant une organisation du travail respectueuse de la santé de tous.
Réfléchir à de nouveaux instruments faisant davantage le lien entre prévention et formation : L’allongement de la durée de cotisation engendre un allongement de la carrière des agents, l’accompagnement des carrières parait indispensable pour que les agents puissent bénéficier de réelles reconversions professionnelles. Le rapport « La gestion des âges de la vie dans la fonction publique » remis par le député M. Pascal Brindeau en janvier 2012 insiste sur ce nécessaire accompagnement, qui passe par la mise en place de dispositifs de formation adaptés et des points d’étape au cours de la vie professionnelle. Réaliser un « bilan de carrière » au milieu de la carrière d’un agent permettrait d’examiner attentivement les possibilités d’évolution professionnelle des agents. Cela devrait concerner en premier lieu les agents qui exercent des métiers dits pénibles pour anticiper les éventuelles interruptions de carrières.
Les instruments de gestion des ressources humaines dont les collectivités ont besoin aujourd’hui sont donc moins des instruments d’individualisation des carrières que des engagements collectifs pour construire des parcours professionnels, des politiques globales de santé et une capacité à construire des collectifs de travail équilibrés et valorisants.
Anticiper des besoins de demain
Les collectivités territoriales depuis le premier acte de la décentralisation sont en permanence en évolution : après plusieurs phases de transferts de compétences elles sont confrontées aujourd’hui à des enjeux nouveaux pour répondre au besoin de gestion de la complexité des problématiques territoriales et de lisibilité de l’action publique. Il est nécessaire aujourd’hui de faire évoluer la gestion des ressources humaines des collectivités pour faire face a ces grands enjeux :
L’encadrement : dans un contexte de changement profond de la fonction publique le rôle que devront tenir les cadres territoriaux est essentiel à la performance des administrations territoriales, c’est pourquoi il sera très important dans les années qui viennent de développer des dispositifs pour renforcer les compétences et la reconnaissance des encadrants.
Leur formation initiale est un élément déterminant de leur capacité à à mobiliser leurs équipes, il faut rétablir un dispositif de formation dès l’entrée dans la carrière de tous les cadres A. Mais pour ceux qui occupent des fonctions d’encadrement d’équipe il faut définir des dispositifs de formation, d’accompagnement personnalisés et d’échanges professionnels. Le dispositif de professionnalisation existant aujourd’hui est aléatoire et insuffisant, il y aurait lieu de renforcer l’obligation des agents de suivre régulièrement des formations. Cela devait également passer par un dispositif d’amélioration de l’observation du nombre et des fonctions des encadrants (aujourd’hui cette population n’est pas recensée au niveau national).
Une attention particulière devrait être dans l’avenir portée à la question de l’accès des femmes aux fonctions d’encadrement : Le Centre National de la Fonction Publique en plus de son activité d’observation devrait dans ce domaine être chargé de l’accompagnement spécifique des femmes pour franchir les « plafonds de verre ». Cette politique s’adresserait tout particulièrement aux emplois de directions et aux femmes candidates à des postes fonctionnels mais aussi aux activités où les femmes encadrantes sont très minoritaires : les activités techniques, les activités d’entretien et de maintenance dans les établissements scolaires par exemple.
Enfin, pour les cadres eux même comme pour la reconnaissance de la fonction publique il faut que le Centre National de la Fonction Publique Territoriale se dote d’un dispositif de recensement et de diffusion des compétences territoriales : Même s’il existe des réseaux professionnels et des associations de fonctionnaires, l’expertise territoriale est aujourd’hui disséminée entre toutes les collectivités. Elle est donc mal reconnue, cela nuit à l’attractivité de la fonction publique. Elle est aussi souvent peu formalisée et donc mal valorisée et mal transmise. La création d’un centre de ressources auprès du CNFPT devrait permettre une mise en commun des connaissances territoriales par les cadres et pour les cadres. Elle permettrait non seulement de mieux diffuser les connaissances et les expériences mais aussi de développer la capacité des cadres à travailler en réseau et donc à moderniser leurs pratiques professionnelles.
La poursuite de la décentralisation aura un impact important sur les personnels : il y a lieu d’abord d’achever la démarche engagée dans les collèges et les lycées en engageant rapidement le transfert des gestionnaires des établissements aux départements et aux régions. La situation actuelle dans laquelle ils sont à la fois gestionnaires des bâtiments et des investissements réalisés par les collectivités et encadrants des personnels territoriaux sans être inclus dans l’organisation hiérarchique des collectivités pose des problèmes quotidiens. Ils ne peuvent pas être réellement porteur de la politique de la collectivité, ni sur le plan financier, ni sur le plan RH. Ils ont le sentiment de gérer des personnels qui sont mieux traités qu’eux-mêmes (car ils bénéficient d’un meilleur suivi en matière de carrière, d’accès à la formation ou de suivi médical). Ce transfert sera l’aboutissement de la décentralisation sur le plan scolaire.
Par ailleurs les conditions de transferts de personnels entre L’État et les collectivités devraient être stabilisées et les conditions d’intégration dans la fonction publique territoriale facilitée : en effet les agents de L’État qui conservent le statut d’agent détachés de la fonction publique de l’État sont couteux pour les collectivités territoriales à cause du montant de leur charges sociales. Les conditions de maintien des régimes indemnitaires devraient être mieux assurées et fondées sur l’analyse du salaire annuel et l’estimation des avantages annexes éventuels. Cette évolution devrait d’ailleurs concerner non seulement les personnels transférés dans le cadre d’une évolution territoriale mais également les personnels concernés par un projet de mutualisation de services ou ceux qui réalisent une mobilité individuelle.
Le développement de la mutualisation entre collectivités est un phénomène qui se développe et se développera encore. Déjà fréquente entre communes et intercommunalité, la mutualisation de services (sous des formes différentes) va aussi se développer entre d’autres niveaux de collectivités ;
Les départements et les régions pourraient mettre en cohérence leur mode d’intervention dans les lycées et les collèges, ou faire converger leurs structures chargées du tourisme, les régions et les EPCI pourraient mettre en commun leur réflexion sur l’économie, les NTIC, les transports.
Les collectivités pourraient –et elles commencent à le faire- développer des projets communs en matière de maîtrise d’ouvrage, d’achat public, d’informatique.
Pourtant les dispositifs de mutualisation entre collectivités restent lourds et complexes. Notre association regroupe des DRH de toutes les collectivités, villes, communautés urbaines, ou communautés d’agglomération, départements, régions, qui travaillent ensemble à construire la vision territoriale de la fonction publique. Nous formons un réseau d’échanges actifs qui mène régulièrement des enquêtes, des comparaisons et de chercher des incitations positives à mettre en commun les ressources humaines des différents niveaux de collectivités.
L’une des premières actions à mener sur ce point serait par exemple de développer les pratiques de coopération en matière d’emploi : création de vivier de CV, échange de compétences, bourse active de l’emploi public. Elles permettraient de partager par exemple des équipes de remplaçants dans les établissements scolaires ou de mettre en commun des recherches de candidats dans les métiers ou les zones en tension.
Mais ces démarches de mutualisation ou de réduction des coûts n’auront de sens que si la question de la performance de la fonction RH et des services des collectivités territoriales fait l’objet d’une formalisation : c’est une axe du dialogue social qu’il faut développer. Sans entrer dans une démarche uniquement gestionnaire il est nécessaire pour améliorer la performance des services publics de partager avec les représentants du personnel au niveau local comme au niveau national des enjeux économiquement importants. Il faut trouver un équilibre entre la nécessaire modernisation de la gestion assise sur une évaluation de la performance économique des services publics et sur la mise en œuvre de conditions de travail respectueuses des personnes et de leur santé au travail.
Les démarches de coopération entre collectivités permettront de réduire certains coûts RH, de professionnaliser les personnels intermittents mais elles permettraient surtout de faire diminuer la précarité de certains personnels.
Cet aspect est important car la demande collective en matière de ressources humaines, dans un contexte où les perspectives d’évolution des salaires sont quasi inexistantes, est de mettre en œuvre une politique « socialement responsable » en matière de gestion des ressources humaines.
Certes chaque collectivité mène actuellement des actions en matière d’intégration des travailleurs handicapés, de formation ou d’amélioration du dialogue social mais ces actions doivent se rassembler dans les projets formalisés de RSO.
La responsabilité sociale des organisations est une démarche d’ensemble qui réclame la mise en œuvre d’indicateurs et le partage avec tous les acteurs de la structure. La définition de ces indicateurs et l’organisation du dialogue et de la communication pourrait à l’avenir figurer dans le statut de la fonction publique territoriale.