Pacte de confiance

Premiers éléments relatifs à la déprécarisation

Mai 2018,

Alors que le gouvernement et les organisations syndicales ont entamé le 15 mai des discussions sur l’accès des contractuels à la fonction publique, l’Association des DRH des grandes collectivités rappelle que si des assouplissements statutaires sont nécessaires pour élargir les possibilités de recourir aux contractuels, il convient aussi d’être vigilant pour ne pas développer de nouvelles formes de précarité.

L’Association des DRH des grandes collectivités a proposé à ses différents interlocuteurs gouvernementaux l’élaboration d’un Pacte de confiance avec les agents publics afin de donner davantage de sens, de reconnaissance et d’ambitions aux réformes qui seront contenues dans la loi relative à la fonction publique en 2019. C’est à ce titre que l’Association des DRH des grandes collectivités souhaite qu’une vigilance particulière soit portée contre la précarité de certaines formes d’emplois.

L’analyse du marché du travail qui, en économie, distingue les « insiders » et « outsiders », s’applique pleinement à la fonction publique : les collectivités ont parfois des recours abusifs à des contrats précaires, du fait d’un cadre juridique inadapté.

L’Association des DRH des grandes collectivités porte un regard exigeant en matière de responsabilité des employeurs publics locaux, de même qu’elle souhaite faire de la fonction publique un modèle pour l’emploi au plan national. Cela implique de ne pas regarder que les questions purement statutaires, mais de bien appréhender l’emploi au sens large dans les collectivités, en pointant certaines limites.

1. Offrir de nouveaux motifs ou de nouvelles durées de collaboration pour les contractuels.

Le recours aux agents contractuels dans la FPT est actuellement encadré par les articles 3 à 3.3. de la loi 84-53 du 26 janvier 1984.

L’Association réitère la nécessité d’élargir le recrutement sur emploi permanent (élargissement du 3.3 alinéa 2) à la catégorie B, alors qu’il est constaté qu’au terme de plusieurs procédures ouvertes aux titulaires, le besoin ne peut être pourvu par un fonctionnaire. Le contractuel recruté suite à cette carence doit pouvoir être recruté sur une période longue afin de lui permettre de préparer les concours (désormais organisés tous les deux ans) et de capitaliser sur le temps de formation nécessaire à la prise de fonction. Ainsi, il apparaît pertinent de proposer, pour des agents B comme pour des A, un CDD 3 ans renouvelable 1 fois et transformable en CDI, si à l’issue des appels à candidatures, aucun fonctionnaire n’a pu être trouvé pour pourvoir le poste permanent vacant.

L’Association est favorable à la création des CDD de mission mais sous conditions. Ils doivent être justifiés par un fait générateur (une politique publique), limités à 6 ans et non soumis à l’obligation de prouver l’absence de fonctionnaire adapté pour le poste. Enfin, ils ne doivent pas ouvrir droit à CDIsation.

2. Résoudre la problématique des contrats horaires ou "faux vacataires".

La situation actuelle des contrats horaires maintient dans la précarité des agents, et peut les mettre en difficulté sociale : vis-à-vis d’un bailleur, un tel contrat « horaire » n’offre aucune garantie de rémunération. Les agents peuvent être « remerciés de fait » pour une faute (il « suffit » de ne plus « donner d’heures »). Les propositions récentes, notamment celles du CSFPT, se concentrent sur les questions de carrières des animateurs titulaires : là encore, on retrouve la distinction entre les « insiders » (animateurs titulaires, souvent « référents » du périscolaire et encadrant) et ces « outsiders », assez oubliés du dialogue social.

De nombreux salariés sont recrutés sous forme de CDD horaires ou de « fausses » vacations qui ne respectent pas ce cadre législatif, mais qui permettent aux employeurs de répondre à un besoin irrégulier mais récurrent (1) et à faible quotité horaire (2).

Il est rappelé que la vacation ne constitue ni une option juridique satisfaisante (elle doit répondre à trois conditions souvent non remplies notamment celle concernant la non-régularité des interventions), ni une option permettant la déprécarisation des personnels (qui n’ont alors que très peu de droits sociaux). De plus, les contrats horaires pratiqués par les collectivités, n’indiquant aucune quotité de temps de travail et étant souvent signés de manière rétroactive (après le début de sa mission), ne respectent pas les mentions obligatoires d’un contrat de travail de droit public. Ces vacataires et horaires ne sont d’ailleurs que les héritiers des anciens « auxiliaires » pré-existant à la jurisprudence Berkani (1996).

Enfin, les lois de « déprécarisation » successives ont montré leurs limites puisqu’elles ont surtout concerné les emplois permanents occupés par des agents contractuels (seuls motifs éligibles au calcul de l’ancienneté nécessaire). De plus, la pérennisation des emplois non-permanents dépend de la bonne volonté des employeurs et des parcours internes de déprécarisation (cf le bilan présenté au comité de suivi du protocole d’accord Sauvadet du 11 avril).

Il convient plutôt de prendre acte de la pratique des collectivités en matière d’agents non-permanents afin d’une part, de leur garantir la souplesse nécessaire face à des recrutements urgents et d’autre part, de garantir un cadre d’emploi plus protecteur aux contractuels non-permanents pourtant employés pendant des années.

Deux types de réponses peuvent être apportées selon les deux types de besoins identifiés :

a). Les emplois répondant à des besoins irréguliers mais récurrents : dans certains services publics très opérationnels impliquant une présence devant l’usager (écoles, multi-accueils, EHPAD…), les remplacements pour maladie ou autres motifs sont quasi-sytématiques (notamment du fait de taux d’encadrement imposés par la réglementation), mais très irréguliers puisqu’ils dépendent d’absences individuelles non planifiables. L’administration a donc besoin de disposer d’un vivier d’agents remplaçants rapidement disponibles et fidélisés (dont l’aptitude médicale, la nationalité, le visa de travail ou le casier judiciaire sont déjà vérifiés) afin d’être rapidement opérationnels, mais auxquels on ne peut assurer un nombre d’heures de travail garanti. Si le motif de recrutement sous forme de CDD au titre de l’article 3.1 pourrait être adapté, il souffre de plusieurs limites juridiques :

  • une délibération est nécessaire pour ouvrir l’autorisation de remplacer : certains trésoriers payeurs refusent le principe d’une délibération de principe ne visant pas un poste en particulier.
  • le contrat doit viser le poste pour lequel l’agent est absent : alors qu’il arrive souvent qu’un agent soit recruté au cours d’un même mois, pour répondre à l’absence quotidienne d’une dizaine d’agents différents.
  • seule une quotité de temps de travail doit être indiquée au contrat et doit correspondre au temps effectivement réalisé alors qu’il serait utile de pouvoir annualiser le temps de travail pour proposer une rémunération constante aux agents remplaçants (sur le même modèle que les CD2I du privé ou pour les assistantes maternelles).

Il nous semble donc pertinent de permettre officiellement aux collectivités de pouvoir adopter des délibérations de principe permanentes (et non annuelles ou postes à postes) pour ouvrir au recrutement temporaire, puis de contracter pour une quotité horaire annualisée sans être rattaché à un poste en particulier, grâce à la création d’un nouveau motif de contrat (ou la réécriture du 3-1). Tout dépassement de la quotité mensualisée donnerait lieu à paiement d’heures complémentaires.

Dans une logique de déprécarisation, un plancher minimum d’heures mensuelles pourrait être imposé aux collectivités (30 % d’un ETP par exemple). Ce type de contrat pourrait être reconduit annuellement mais entrainerait une CDIsation obligatoire au terme de 6 années de collaboration (comme pour les actuels CDD 3-3 catégorie A) et la création d’un poste permanent.

Cette proposition contribuera également à améliorer la situation des personnels féminins, largement dominants sur les emplois précités (EHPAD, écoles, établissements petite enfance...). Ce dispositif pourrait aussi intéresser les jeunes qui interviennent sur plusieurs secteurs en collectivités (dépendance, animation, sports, culture) pendant leurs années d’études permettant ainsi aux employeurs de les fidéliser et d’accroître la qualité du service rendu. Pour les autres agents qui en font leur métier, ce dispositif responsabiliserait les employeurs et les inciterait à préparer des sorties positives pendant ces trois ans.

b). Les emplois avec de faibles quotités horaires : l’action publique s’adapte en permanence. Le principe de mutabilité implique, pour une partie des effectifs des collectivités, de recruter des personnels avec des faibles quotités horaires. A titre d’exemple, la réforme des rythmes scolaires a eu pour conséquence une forte augmentation de l’intervention communale dans le cadre des TAP (temps d’activité périscolaires). Beaucoup de collectivités ont eu recours à des vacataires ou à des contractuels horaires n’ayant pas vocation à être pérennisés mais intervenant pourtant sur un besoin permanent. En outre, ces activités du secteur de l’animation touchant à la surveillance des études, à l’accueil périscolaire ou encore aux activités périscolaires se font sur des temps courts et sur une amplitude journalière importante peu adaptés à la création de postes. Ce type de besoins à faible quotité horaire peut aussi se rencontrer dans le secteur culturel.

La possibilité de recruter ces intervenants sous contrat de longue durée mais en l’absence de création d’emploi donnerait une vraie souplesse de fonctionnement aux collectivités (les mettant également à l’abri des changements de politique nationale sur ces sujets) tout en donnant des perspectives de long terme aux intéressés si un CDI leur est proposé à l’issue des 6 ans (conformément à l’article 3.4). Une solution simple à partir de la base législative actuelle serait de ne pas limiter l’alinéa 4 de l’article 3.3 aux seules collectivités de moins de 1000 habitants mais de l’élargir à toutes les autres tout en incluant la possibilité de CDIsation pour les agents durablement employés. Cette possibilité devrait être assortie de l’absence d’obligation d’inscription du poste au tableau des emplois permanents tant que la personne n’est pas engagée en CDI.

Cette mesure pourrait être complété par :

  • une quotité d’heure déterminée a priori qui permet de lisser la rémunération et qui permet d’éviter de décaler d’un mois la rémunération ;
  • les droits à congés payés, formation, SFT, IR.

3. Renforcer le droit à la formation des agents non permanents.

L’accès réel à la formation pour les agents non permanents est l’une des conditions pour la déprécarisation. Le cadre existe aujourd’hui : les employeurs cotisent au CNFPT pour ces personnels et le compte personnel de formation se met en place progressivement. Or, l’accès aux formations reste très faible pour ces personnels.

En effet, alors que les employeurs versent une cotisation au CNFPT pour ces personnels, ils sont très rarement prioritaires au moment de l’inscription : le CNFPT pourrait être amené à rendre compte annuellement, au niveau national et local, de l’accès au droit à la formation pour ces personnels. Il pourrait en être de même pour les employeurs en inscrivant le principe d’un débat annuel sur les orientations de formation introduit par une série d’indicateurs sur l’accès à la formation. Ce débat pourrait aussi nourrir les échanges sur l’égalité professionnelle et l’accès à la qualification des femmes, les agents non-permanents étant en majorité des femmes.

4. Offrir des voies de stagiairisation à des personnels précaires.

Certains métiers fortement en tension ne sont accessibles que par les concours. Même si certains de ces concours sont sur titres, le calendrier (tous les deux ans) de ceux-ci ou leur sélectivité ne permettent pas la stagiairisation de personnels recrutés sur base contractuelle et régulièrement renouvelés à ce titre.

En particulier, la filière médico-sociale est particulièrement touchée. Il paraît fortement dommageable qu’un auxiliaire de soins ayant le diplôme d’aide-soignante ne puisse pas être directement stagiairisé sur ce métier reconnu en tension dans la FPT, après 2 ans de collaboration.

Autre exemple, un apprenti formé sur un métier en tension dans nos collectivités devrait pouvoir se voir proposer un accès facilité à la stagiairisation.

Pour se faire, pourquoi ne pas envisager des « sélections professionnelles » propres à la collectivité sur la base du modèle utilisé par la loi Sauvadet pour les agents éligibles et d’élargir les possibilités de concours sur titres pour les personnes ayant une qualification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ?

5. Poursuivre la responsabilisation des employeurs.

Afin de davantage responsabiliser les employeurs vis-à-vis de ces emplois précaires, une obligation de "rapport annuel sur la situation des emplois non-permanents" pourrait être instituée. Cet état pourrait être adjoint au bilan social présenté au comité technique ou porté en annexe au document d’orientation budgétaire.

À l’image des récentes obligations relatives à la production d’un document d’orientation budgétaire portant sur les perspectives pluri-annuelles en matière de personnel et d’un rapport relatif à l’égalité hommes-femmes, un tel engagement contraindrait chaque collectivité à communiquer sur sa politique en la matière, à annoncer ses plans de lutte contre la précarité ou a minima à faire le décompte des personnes employées dans ces conditions. Ce rapport aurait l’intérêt de susciter le débat dans les instances de dialogue social et au sein des conseils exécutifs, débats susceptibles de déboucher sur des mesures de dé-précarisation plus adaptées à la situation locale qu’un nouveau dispositif national d’apurement des contractuels pas toujours bien ciblé sur les véritables "outsiders".

L’Association a en effet la certitude que ce sont les employeurs locaux qui détiennent les clés d’une inclusion des emplois précaires dès lors qu’ils peuvent disposer d’un cadre juridique assoupli.