Luc ZIMMER
Professeur de neuro-pharmacologie à l’Université Claude Bernard
Lyon 1 et aux Hospices Civils de Lyon, directeur du CERMEP,
plateforme de recherche en imagerie et responsable
d’une équipe au Centre de Recherche en Neurosciences
de Lyon (INSERM-CNRS)
En préambule, Luc Zimmer nuance le titre de sa communication. Si les neurosciences permettent de comprendre certains fonctionnements du cerveau, elles ne doivent pas à être considérées comme des outils prêts à l’emploi directement applicables au quotidien d’un DRH. Les neurosciences couvrent un champ très large et multidisciplinaire d’études scientifiques et biomédicales qui traitent du cerveau. Mais il s’agit également d’un mot à la mode voire d’un mot-clé de marketing... Le terme est accaparé par des prestataires qui vendent du management fondé sur les neurosciences. Cela peut néanmoins être un outil de communication très intéressant et riche d’enseignements au sein des entreprises.
Différents concepts sont ensuite présentés, notamment ceux qui sont fréquemment cités en RH et management.
Un concept souvent cité concerne l’homéostasie du cerveau. Sa principale signification est l’équilibre cérébral c’est-à-dire le maintien des fonctions centrales, en toutes circonstances, quelques soient les stimuli voire les agressions externes de toute nature. Ce terme est souvent utilisé par les communicants qui tentent de le comparer avec une structuration d’entreprise, d’organisation humaine. Comme les différentes aires cérébrales, l’organigramme d’une entreprise est censé être structuré de manière à ce que toute entité défaillante puisse être prise en charge et suppléée. La comparaison a ses limites. Ainsi, les récentes études sur le sommeil montrent que les connexions synaptiques “superflues” sont éliminées la nuit afin d’économiser de l’énergie, gagner de l’espace et, in fine, améliorer les fonctions cognitives... Ainsi, la plasticité cérébrale, indispensable à son évolution voire à sa survie, ne peut pas être si facilement citée en exemple dans le monde du travail.
Un autre concept provenant des neurosciences et maintes fois cité en exemple est le modèle du cerveau tri-unique. Il repose sur le postulat que le cerveau peut être distingué en 3 parties : le cerveau reptilien (à l’origine ces comportements primitifs et instinctifs), le cerveau limbique (à l’origine des motivations, processus de décision) et le cerveau cortical (conscience, analyse). Ce modèle est souvent utilisé par les communicants en entreprise : chaque sujet a des comportements qui sont préférentiellement guidés par l’un de ces cerveaux. Il suffirait donc d’adapter les outils de communication pour privilégier des interactions selon le type d’individu. Si le modèle est séduisant, il est dorénavant considéré par les neurosciences comme dépassé.
Un autre modèle emprunté aux neurosciences est celui du cerveau droit et cerveau gauche. Cette notion est encore utilisée bien qu’elle remonte à des connaissances neurologiques datant des années 1920. Le cerveau droit serait celui de la créativité, de l’intuition, de l’imagination, de l’émotion, et le cerveau gauche celui de l’écriture, de la logique, du calcul, du langage.
Ce modèle est encore utilisé par des communicants en simplifiant ces notions. S’il repose sur des travaux neuro-anatomiques historiques et fondateurs, il manque dorénavant de rigueur au vu des connaissances actuelles. Il est plus juste de parler aujourd’hui de plasticité, une région du cerveau pouvant remplacer une autre. Ici encore, la neuro-imagerie peut montrer les nombreuses connections entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit, relativisant cette dichotomie.
Un autre concept emprunté aux neurosciences et fréquemment cité est la notion du “désapprendre pour apprendre”. Il est exact que les neurosciences permettent de comprendre les mécanismes des apprentissages, les différentes régions cérébrales impliquées, les processus cognitifs et leur évolution au cours du temps, voire le support moléculaire de la mémoire. Mais, la science n’a fait que confirmer et expliquer, a posteriori, des constats empiriques : la concentration qui fléchit au bout d’un certain temps, la nécessité de faire des pauses pour ranimer la concentration, l’alternance de la pratique et de la théorie, la nécessité du sommeil réparateur... Les outils qui sont proposés dans ce contexte bénéficieront donc des neurosciences, mais davantage dans leur preuve de concept, dans la compréhension que dans une démarche de mise à disposition de “boîte à outils” prête à l’emploi...
En conclusion, les neurosciences sont un champ de progrès extraordinaires notamment en sciences humaines, aidant à une meilleure compréhension du cerveau. Elles permettent également de mieux cerner nos comportements. Les neurosciences peuvent aider les DRH à avoir une vision intégrée des interactions humaines dans le monde du travail, au prix d’une lecture nuancée et pondérée.