Evolution des conditions d’emploi des agents non titulaires

Lettre à la Direction Générale des Collectivités Locales - 2009

Madame,

Vous avez bien voulu échanger avec l’association des DRH des grandes collectivités à propos du document d’orientation transmis aux organisations syndicales et aux employeurs territoriaux concernant l’évolution des conditions d’emploi des agents non titulaires.

Les DRH des grandes collectivités sont soucieux de résoudre la question de l’emploi précaire et souhaitent vous faire part de leur analyse de la situation des agents non titulaires et contribuer par leurs propositions à la « dé précarisation » de certains contractuels.

L’analyse de la situation : Les données concernant l’emploi non titulaire dans la fonction publique territoriale doivent être analysées avec discernement. En effet, les collectivités de taille petite et moyenne (-de 40 000 habitants) font souvent l’amalgame entre les différents types de contrats et décomptent, y compris dans leur bilan social des agents non titulaires non permanents (remplacements notamment). Ainsi, les données brutes concernant ces agents semblent faire apparaître un nombre très élevé de non titulaire alors que la situation est variable selon les filières et les collectivités.

Certaines filières comptent un grand nombre d’agents non titulaires parce que la nature des missions et des activités concerne des salariés qui n’ont pas vocation à faire une carrière durable dans ces emplois.
La filière patrimoine, animation et la filière sportive sont tout particulièrement dans ce cas-là : un grand nombre d’agents non titulaires sont recrutés, en particulier par les communes ou les CCAS pour des activités d’animation scolaire ou périscolaires (les restaurants scolaires, les centres de loisirs, les salles de sports…) ou dans les musées (accueil , animation) ou pour les services d’archéologie (diagnostic). Ces activités ne représentent pas des temps complets sur toute l’année (quelques heures le midi ou en fin de journée) ou sont concentrées sur les périodes de vacances scolaires ou des temps limités. Ce ne sont pas des postes créés avec une vocation à perdurer dans le temps.

Les agents qui sont recrutés sont dans un grand nombre de cas des étudiants ou des jeunes qui entrent dans la vie professionnelle et ne souhaitent pas faire carrière dans ce poste : ils financent ainsi leurs études en occupant des « jobs » avant une orientation professionnelle définitive.

Par ailleurs dans la filière culturelle les métiers de l’enseignement artistique comptent également de nombreux agents non titulaires (environ la moitié des enseignants) qui ne sont pas suffisamment motivés pour passer des concours ou qui ne passent pas de concours parce que leur spécialité n’est pas ouverte dans les concours organisés par les centres de gestion. De nombreux agents de la filière artistique sont d’ailleurs dans une situation de cumul d’activités compte tenu de la nature de l’activité et du temps de travail propre à ces cadres d’emplois. Ils ne recherchent pas nécessairement une régularisation statutaire.

S’il peut paraître intéressant de proposer aux salariés non titulaires de ces trois filières des modalités de dé-précarisation, il y aurait lieu de prendre en compte le fait que leur activité s’exerce sur des périodes d’activité dispersées, parfois irrégulières et que pour comptabiliser leur ancienneté il faut souvent additionner de petits contrats parfois très courts (15 jours de vacances scolaires pour un animateur de Centre de Loisirs par exemple).

Une autre piste serait la possibilité de mettre en place un contrat spécifique notamment pour les étudiants

Pour parfaire l’analyse de la situation pratique des agents non titulaires au-delà de ces filières particulières, il y a lieu de dresser le tableau des différents motifs de recrutement et de leurs implications concrètes afin d’envisager d’abord de faire évoluer la réglementation pour l’adapter aux besoins des agents et des collectivités.

L’article 3 de la loi du 26 janvier 1984 énumère les motifs de recrutement d’agents non titulaires :

L’alinéa 1 permet de recruter des non titulaires pour des remplacements d’agents malades, en congé maternité, en congé parental ou pour compenser les temps partiels. Ces contrats d’une durée maximale d’un an sont souvent renouvelés et peuvent aboutir à des situations de précarité prolongée si l’agent titulaire absent (ou en temps partiel) ne reprend pas son activité. Or il est impossible d’anticiper la prolongation de l’absence d’un agent malade ou en congé parental. Il semblerait légitime de permettre à l’agent remplaçant d’acquérir un statut plus stable à partir d’une certaine durée d’activité.

Il y aurait lieu par ailleurs d’ajouter un motif de remplacement celui des agents utilisant leur compte-épargne temps car aucune disposition règlementaire n’est spécifiquement prévue pour ce cas

Cet alinéa 1 permet également de recruter des agents non titulaires pour faire face temporairement et pour une durée maximale d’un an à la vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi.

En pratique ces contrats qui aujourd’hui ne peuvent déboucher sur des contrats à durée indéterminée concernent des agents recrutés dans toutes les catégories, en l’absence de candidats titulaires aptes à exercer les fonctions du poste.

Les grandes collectivités qui recherchent à la fois la compétence de cet agent mais aussi la stabilisation de la situation de l’agent oriente très rapidement les agents recrutés sur ce motif vers la préparation de concours. Elles recrutent également à cette occasion là les apprentis qui après avoir terminé leur diplôme doivent préparer un concours. Pour autant les agents concernés ne réussissent pas toujours le concours dès la première année.

Mais le renouvellement de ces contrats est contesté par le contrôle de légalité de manière plus ou moins sourcilleuse. Cela oblige parfois les collectivités à refaire tous les ans une procédure de recrutement (déclaration de vacances de poste, sélections, entretiens) pour constater que l’agent non titulaire reste le plus apte à occuper ce poste.

Enfin les collectivités utilisent par la force des choses les contrats de cette nature lorsque les listes d’aptitudes sont épuisées et que les centres de gestion n’organisent pas de concours. En règle générale les collectivités pour des raisons de principe autant que pour des raisons financières et juridiques n’organisent pas elles-mêmes de concours sauf de manière très marginale. Cependant les concours d’assistant socio-éducatifs, de technicien territorial, certaines spécialités dans les concours techniques de catégorie C (chef de cuisine par exemple) ne sont pas organisés de manière annuelle ce qui place les collectivités dans une situation embarrassante. Elles recrutent des agents non titulaires pour une durée d’un an, sont exposées à des remarques du contrôle de légalité lors du renouvellement du contrat, mobilisent les agents pour préparer des concours qui n’ont pas lieu…ce qui décourage aussi bien les agents eux-mêmes que leurs encadrants qui vivent mal l’absurdité de cette démarche.

Il y aurait lieu d’engager au plan national une concertation avec les centres de gestion pour faire connaître aux collectivités les calendriers pluriannuels d’organisation des concours ainsi que les conditions de facturation aux collectivités non adhérentes des recrutement qu’elles font sur les listes d’aptitude. Certaines collectivités hésitent à déclarer des intentions de recrutement car le centre de gestion leur facture dès ce moment l’ouverture du poste au concours alors que la réalité du recrutement n’est pas confirmée.

Il serait plus judicieux dans cette situation là, pour les contrats d’un an fondé sur ce motif, de prévoir expressément un droit à renouvellement du contrat : d’une part afin de permettre à la collectivité de conserver au-delà d’un an les contractuels qu’elles sont parvenues à recruter, d’autre part pour permettre à l’agent de réussir un concours de la fonction publique territoriale en ayant un temps suffisant pour s’y préparer. Le renouvellement de ces contrats pourrait être limité à 6 ans.

L’alinéa 2 permet de recruter des agents non titulaires pour des besoins saisonniers (6 mois) ou des besoins occasionnels (3 mois renouvelable une fois). Cette rédaction pourrait être complétée pour inclure les agents qui réalisent les missions d’animation évoquées plus haut puisque généralement elles concernent des agents qui n’ont pas vocation à faire carrière dans ces emplois. Il serait pertinent d’ajouter par exemple « pour exercer des missions ponctuelles dans le domaine de l’animation scolaire ou périscolaire pour une durée cumulée de 6 mois pendant une même période de douze mois » ou de prévoir la possibilité de contrat à temps non complet sur une année scolaire (étudiants qui assurent les midis, mercredis et vacances scolaires).

L’alinéa 3 enfin prévoit la possibilité de recruter des agents contractuels lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes ; et, pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient.

Ces contrats sont ceux qui en pratique débouchent sur des contrats à durée indéterminée au bout de 6 ans. Ils concernent actuellement un nombre très limité d’agents car la procédure de création de poste nécessite une délibération spécifique.

Il y aurait lieu pour clarifier les recours à ce type de contrat de mieux encadrer le contenu de la délibération

  • D’une part sur le plan juridique, en spécifiant que ces postes sont créés par référence à un cadre d’emplois et que les contractuels les occupant détiennent un niveau de diplôme équivalent à celui qui est requis pour passer le concours de ce cadre d’emplois (aujourd’hui, il n’y a pas d’obligation statutaire dans ce sens et cela est dommageable à l’équité entre fonctionnaires et non titulaires).
  • D’autre part sur le plan financier en fixant des plafonds de rémunération en rapport avec le cadre d’emplois de référence et en limitant les possibilités de revalorisation par exemple à 15% par an : aujourd’hui les interprétations du contrôle de légalité sont très variables d’une région à l’autre. Certaines préfectures censurent toute augmentation supérieure à 5%, d’autres à 10%, d’autres établissent un parallèle avec la carrière d’un fonctionnaire.
  • Ces dispositions permettraient d’orienter plus facilement les contractuels vers la préparation d’un concours en leur assurant un reclassement dans un grade sans pénalisation excessive sur le plan financier.

Le recrutement d’agents contractuels sur le fondement de cet alinéa n’est ouvert qu’en catégorie A.

L’ouvrir aux agents de catégorie B serait comme le propose le document d’orientation du gouvernement très utile.

En effet certaines expertises dans la filière technique, mais aussi certains postes de chargés de mission de la filière administrative requièrent une spécialité ou une expérience professionnelle qui en font des emplois dont la nature ne permet pas le recrutement de fonctionnaires.

L’exemple le plus fréquent est aujourd’hui celui du chauffage, de l’économie d’énergie, de la gestion des flux, mais cela est aussi toujours réel dans le secteur de l’informatique, notamment en matière de sécurité des systèmes, dans les domaines du Bâtiment ou des VRD (voirie réseaux : dessinateur par exemple). Le cas se présente également dans le domaine du développement économique, ou du développement local. Les collectivités sont amenées à recruter des contractuels de catégorie A ou B qui souvent ont acquis leur expérience dans le secteur privé et qui, parce qu’ils sont trop âgés ou que cela conduirait à une perte de salaire ne passeront pas de concours.

En pratique dans ce cas-là la collectivité fixe la rémunération de manière à prendre en compte l’expérience professionnelle du candidat et son âge par référence à ce que percevrait un fonctionnaire de cadre d’emploi équivalent.

En revanche, le recours à ce type de contrat n’a que peu d’intérêt en catégorie C puisqu’il est possible de procéder à un recrutement direct dans l’échelle 3.

Au-delà de ces considérations sur les cas de recrutement des agents non titulaires le document d’orientation présenté par le gouvernement appelle quelques observations :

Avant de libéraliser la « CDisation » il serait pertinent de faire en sorte que les contractuels soient d’abord orientés vers la Fonction Publique Territoriale.

La première disposition à prendre serait de diversifier les modes d’entrée dans la fonction publique et en particulier

  • De développer davantage le concours sur titres –comprenant au minimum un entretien avec un jury- plutôt que le concours sur épreuve. Cela serait particulièrement pertinent pour les professions règlementées, dont l’exercice est subordonné à la détention d’un diplôme ou d’un titre, comme les métiers d’infirmier, de puéricultrice, de médecin, d’assistant socio-éducatif, de psychologue, d’éducateur, d’architecte. Cette possibilité pourrait être aussi ouverte dès lors que les CDG ne recueillent pas suffisamment de demandes de postes pour ouvrir le concours ou la spécialité du concours.
  • De prévoir pour les apprentis de toutes les catégories A,B,C, des modalités d’entrée dans la fonction publique particulières : après avoir réalisé au sein de la collectivité un apprentissage allant de 1 an à 3 ans, la vérification de l’aptitude de l’agent à travailler dans le secteur public et de ses compétences peut être considérée comme réalisée et s’il est besoin d’organiser une procédure d’entrée celle-ci doit être simplifiée : un entretien devant un jury organisé par le centre de gestion semblerait le plus opérationnel. Il faut noter sur ce point que le recours au PACTE pour l’emploi ne semble pas utilisable de manière pratique contrairement à ce qui a pu être parfois évoqué.
  • D’envisager pour les contractuels recrutés sur le fondement des deux premiers alinéas de l’article 3 de la loi du 26 janvier 1984 comptant plus de 6 ans d’ancienneté en équivalent temps plein des modalités d’intégration dans la fonction publique comme les concours appuyés sur une reconnaissance de l’expérience professionnelle.

Pour cette raison l’encadrement de la rémunération des contractuels constituerait un garde-fou qui éviterait l’anomalie qui existe aujourd’hui et qui conduit à ce que certains agents préfèrent rester contractuels même lorsqu’ils ont préparé ou même réussi un concours, pour des raisons de salaires.

Lorsque les voies de l’intégration dans la fonction publique ne sont pas utilisables pour des raisons d’âge, (souvent), de nationalité (parfois) le recours au Contrat à durée indéterminée est pertinent.

  • La simplification des conditions d’analyse de l’ancienneté proposée par le gouvernement (6 ans d’activité durant les 8 dernières années) est positive.
  • Pour les contractuels relevant des deux premiers alinéas de l’article 3, la limitation à 6 ans de durée cumulée de contrat est nécessaire. Cependant la CDisation ne doit intervenir que dans les cas où les possibilités d’entrée dans la fonction publique ne sont pas opérantes. Encore une fois mettre en œuvre de nouvelles modalités d’entrée dans la fonction publique permettrait de régler la question en amont. Il serait intéressant de prévoir l’obligation aux contractuels de se former et d’essayer de passer le concours avant le CDI.
  • L’obligation de créer par délibération motivée par la situation particulière des agents concernés par la CDisation permettrait d’assurer une transparence au dispositif
  • Si des concours réservés sont organisés pour favoriser l’intégration des agents non titulaires, la définition d’épreuves réelles et sérieuses (et non d’une simple formalité) serait nécessaire.

Sur le plan de la gestion des ressources humaines les personnels contractuels rencontrent aujourd’hui des problèmes de 2 ordres.

1. d’une part la question de la mobilité professionnelle doit être débloquée : le document d’orientation envisage d’organiser la portabilité du CDI entre collectivités, cela peut être une disposition positive mais il n’est pas certain qu’elle soit très opérationnelle. Le système actuel de congé de mobilité professionnelle même s’il est peu utilisé doit continuer à exister.

Cependant la question de mobilité interne à la collectivité n’est pas encore nettement réglée. Elle se pose dans deux cas concrets :

Les agents intégrés en CDI à la suite de la « remunicipalisation » d’une activité n’ont aujourd’hui pas de réel droit à une mobilité (horizontale) qui leur permette de changer de secteur d’activité pour occuper des fonctions différentes mais de même niveau.

Les agents en CDI qui souhaitent progresser « verticalement » en prenant de nouvelles responsabilités –par exemple un chargé de mission qui souhaite devenir responsable de service- sont exposés à la censure du contrôle de légalité car cela peut être interprété comme un changement dans la nature des fonctions (qui remet en cause le CDI).

Il semblerait plus simple d’une manière générale d’acter le fait qu’une fois qu’un agent est en CDI dans une collectivité son contrat ne peut être remis en question que dans certains cas précisément défini (hormis les cas disciplinaires) : une augmentation exceptionnelle de la rémunération par exemple et que dans tous les autres cas le CDI est acquis à l’agent quels que soient ses changements d’activité.

2. d’autre part les agents contractuels en général, en CDI en particulier n’ont actuellement pas de représentants dans les instances paritaires de suivi de leur carrière.

De la même manière que pour les comités techniques et les CHSCT il serait tout à fait légitime que les contractuels dès lors qu’ils sont en activité depuis plus d’un an puissent être électeurs et élus dans les commissions administratives paritaires. Leur rémunération, leur évolution de carrière, leur mobilité si elle comporte un changement de situation, et leurs éventuels recours contre la notation pourrait ainsi faire l’objet d’un suivi par les représentants du personnel exactement comme pour les personnels titulaires.

Je souhaite que ces analyses de l’Association des DRH des grandes collectivités puissent être prises en compte dans la réflexion engagée actuellement et je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Valérie CHATEL